Nous évoquions dans un récent article les Directeurs Généraux de palace, ce poste qui fait rêver bon nombre des managers évoluant en France et dans le monde, dans l’hôtellerie de grand luxe.
Le Graal de la profession.
Pour avoir régulièrement l’occasion d’échanger avec quelques-uns des très grands patrons de cet univers hôtelier particulier, je me suis retrouvée à réfléchir sur LA crise de sens réelle vécue par beaucoup de ces dirigeants, et l’impossible étau dans lequel ils sont pris actuellement, au cœur de la baisse d’activité liée aux gilets jaunes et aussi aux changements de consommation de clients qui leur était autrefois dédiés : compressés entre la marque qui exploite leur hôtel et les propriétaires des murs.
Entant que recruteuse experte en hôtellerie, issue moi aussi de l’hôtellerie de luxe, j’ai gardé un intérêt sincère pour ce milieu, parmi lequel évolue une grande partie de mon réseau professionnel.
J’ai axé le positionnement de Tovalea sur des valeurs d’humanité, aussi je m’inquiète en constatant un certain niveau de souffrance des managers en général, dans le luxe.
Je tente aujourd’hui de l’expliquer et d’ouvrir la réflexion en la partageant avec vous.
Crise de sens quasi généralisée
« Depuis mes études j’ai travaillé toute ma vie à l’international et en France dans les meilleures maisons pour avoir ce poste : je suis divorcé, je n’ai pas vu grandir mes enfants et tout cela pourquoi ? »
Le tableau est particulièrement noir, me direz-vous. C’est pourtant une vraie question empreinte d’interrogation profonde que j’évoquais avec un patron d’un de ces très beaux établissements, il y a peu.
Il faut bien comprendre ce qu’est devenir directeur général d’un palace parisien aujourd’hui.
Un engagement de résultat par la marque exploitante par toujours SMART
`Lorsqu’un propriétaire décide d’investir des centaines de millions d’euros pour rénover entièrement l’un de ces établissements, il va évidemment attendre des résultats. C’est la promesse souvent ambitieuse voire irréaliste que va lui faire la marque pour signer l’établissement. Eh oui, un palace doit s’adosser à une marque prestigieuse, afin de commercialiser son établissement et pouvoir aussi bénéficier de l’aura d’une marque hôtelière de grand luxe.
À Paris les places sont très chères pour des marques qui sont déjà établies à l’international, et qui souhaitent avoir elles-aussi, leur flagship dans la capitale du pays le plus touristique au monde.
Aussi, pour gagner ce marché, la marque va s’engager auprès des propriétaires en promettant des résultats rapides après l’ouverture (dans le cadre d’une ouverture, cela peut être une reprise) basés sur le GOP.
Considérant que le Directeur Général d’ouverture ou réouverture arrive entre 8 et 6 mois avant date, il est, dans la majorité des cas, non impliqué dans les négociations de signature entre les propriétaires et la marque qui va mettre son drapeau sur l’Hôtel en question. Et c’est bien là le souci, car c’est à lui/elle qu’on va demander des explications sur la bottom line.
Des Assets Managers souvent déshumanisés
Aujourd’hui sévit à Paris, et depuis longtemps, un « Asset Manager » redouté de tous dans notre milieu, fort de son rôle empirique de « Représentant des Propriétaires », traitant les dirigeants opérationnels des établissements plutôt avec indifférence, sans peu de respect ni de l’humain ni des contraintes opérationnelles liées à ce poste.
Sans vouloir stigmatiser, surtout pas, et encore moins, généraliser la fonction d’Asset ou de Financier –il existe des gens bien partout ;-), je constate simplement que cette personne officie pour deux palaces du même fonds UAE, et sa gestion aléatoire de l’humain persiste depuis des années.
Nous assistons pour l’un de ces établissements, à un turnover de Directeurs Généraux tout aussi impressionnant qu’inquiétant : trois Directeurs sortis en 4 ans d’ouverture pour un de leurs flagships parisiens…
Des propriétaires qui ne comprennent pas toujours les opérations hôtelières
J’expliquais récemment à une étudiante en école de commerce souhaitant évoluer vers un poste d’Asset Manager, que dans les hôtels à évaluer, au rachat ou à la vente, il y a aussi -et avant tout- des personnes. Des opérationnels, qui ont dédié leur vie (souvent depuis tout jeune) au service des clients et à ce métier, non seulement métier d’expert mais surtout vocation.
Or il faut comprendre d’où viennent les opérationnels. A mon époque, l’orientation poussait certains d’entre eux, dont les résultats scolaires ne permettaient pas la poursuite d’études supérieures, vers le secteur de l’hôtellerie-restauration. Ce métier a toujours offert des opportunités à ceux qui ont envie de travailler et ne pas être enfermés dans un bureau,
Ainsi, beaucoup de managers ont commencé au bas de l’échelle, en cuisine ou en salle, et ont gravi, peu à peu, les échelons. Le travail est dur, parfois ingrat, avec des Chefs qui peuvent se montrer impulsifs, avec la nécessité d’être très présent auprès du personnel et des clients : il s’agit vraiment d’une vocation, un sacerdoce au service de l’excellence.
Toutefois, en contre-exemple, pour les investisseurs français innovants en hôtellerie de luxe, clients de Tovalea, il y a une vraie volonté de développer l’humain et, face à la pénurie de candidats, d’enrichir la polyvalence, de promouvoir une hiérarchie beaucoup plus transversale. Cette souplesse permet aux employés et managers d’avoir plus de responsabilités. Elle permet aussi de mieux capter la nouvelle génération, qui a besoin de tâches variées, de changement, de sens et d’intérêt dans leur travail quotidien.
Ce n’est pas le cas, hélas, dans les palaces où les structures restent pyramidales en mode « top down » avec une hiérarchie organisée comme elle l’était déjà au début du siècle dernier.
Force est de constater en effet que les propriétaires des palaces sont rassurés par des profils qui règnent depuis de nombreuses années dans cette hôtellerie de grand luxe, et souvent uniquement à Paris. C’est ainsi qu’au niveau des Managers et Directeurs Généraux, il y a des transferts d’un établissement à l’autre, en « consanguinité » dirons-nous…
A mon humble avis (au risque de radoter ) car c’est mon credo de recruteuse, il est urgent que les palaces accueillent des profils ayant également connu d’autres univers hôteliers, d’autres configurations, d’autres pays que la seule « Hôtellerie de Luxe Parisienne ».
L’humain au cœur du sujet et la priorité absolue
Au-delà de l’expertise et de la connaissance parfaite des codes de l’hôtellerie de luxe et de sa clientèle, indispensables pour y travailler, c’est la considération de l’humain et l’enrichissement des postes qui vont être déterminants pour la survie de ces palaces : nous rencontrons de plus en plus de professionnels promis à une carrière brillante au sein de ces maisons qui souhaitent, justement, les quitter : ils n’ont plus envie d’attendre 10 ou 15 ans avant de devenir GM, ni de subir une pression de plus en plus forte au regard des restrictions de personnel imposées notamment dans des périodes économiques tendues, sans parler des voyages pour vendre l’hôtel, des horaires in extenso, et des WE « on duty ».
Conclusion : faire confiance au pilote et à l’humain
Cet oubli du facteur humain dans les attentes de propriétaires axés « bottom line », me fait penser à l’histoire du pilote Sully Sullenberger, héros de l’aviation civile américaine qui fit amerrir sur l’Hudson, en janvier 2009, un Airbus A320 sauvant la vie de 150 passagers.
Malgré le fait qu’il eût deux moteurs coupés et qu’il réussît une prouesse tant de pilotage que de courage, il fut convoqué et accusé par sa hiérarchie, qui lui reprochait de ne pas avoir essayé d’atterrir sur l’aéroport de la Guardia, notamment.
Le film de Clint Eastwood montre bien la pression à laquelle Sully a été soumis par sa compagnie. Celle-ci a eu recours à de nombreuses simulations, des reports, chiffres et statistiques sans tenir compte à aucun moment de l’élément clé de cette histoire : le facteur humain…et les 34 secondes de doute des pilotes après l’impact sur la stratégie à adopter pour sauver 150 vies.
Les Directeurs Généraux de nos palaces sont un peu au quotidien dans cette situation de pilote devant amerrir : des propriétaires et des marques qui leur imposent rapports, forecasts et obligation de résultat sans tenir compte du facteur humain et de l’impact sur le GM en question : la gestion opérationnelle d’un hôtel au quotidien, la difficulté de recruter, la présence et l’énergie nécessaires pour satisfaire le client dans un contexte économique tendu et une concurrence de plus en plus accrue.
Des hommes, pas des robots.
Il serait temps, au-delà du business et des chiffres, de considérer ces belles maisons comme des ruches précieuses où le travail des équipes fabrique, telles les abeilles, un miel de service, d’exception. C’est ce travail que reconnait le client.
Source: TOVOLEA 12 avril 2019
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